On a levĂ© l’ancre de Seattle et on a mis le cap sur San Juan Island ce matin lĂ . Tu en rĂȘvais. Je l’ignorais. Tu les voulais si fort pourtant, alors on a hissĂ© les voiles et on y est allĂ©.
On a enclenchĂ© le compteur de notre WaOrCa; les premiers miles s’enchaĂźnent. DĂ©sormais, il n’y avait plus qu’elle et nous. Notre toit, notre chez nous pour les semaines Ă venir, alors comment ne pas lui donner un nom ? Oui, WaOrCa lui allait Ă ravir, Ă juste tire, Ă©lĂ©ment clef de ce voyage Ă travers l’Ă©tat de Washington, Oregon et un bout du nord de la Californie. Tu te familiarises avec la boite auto et je prend place cĂŽtĂ© passager, m’amĂ©nage cet espace qui sera mien pour les jours, semaines Ă venir. On s’Ă©merveille dĂ©jĂ de cette vie sur les routes amĂ©ricaines, sans savoir que ce n’est rien Ă cĂŽtĂ© de ce qui nous attend.
Les heures dĂ©filent, la route est toute tracĂ©e, cette longue ligne droite qui ne serpente que par de rares intermittences. Le soleil cogne jusqu’Ă ce que nous gagnions Anacortes et se dissimule derriĂšre d’Ă©pais nuages lorsque nous suivons les indications de cet homme Ă l’entrĂ©e du parking pour le ferry et nous dirigeons vers la ligne 4. La traversĂ©e n’est pas bien longue, mais assez pour que l’on saute hors de la voiture et que l’on se rue comme des gamins sur le pont supĂ©rieur du bateau. La brise marine et l’Ă©cume contre la coque du ferry me rappellent Ă mes souvenirs d’enfance, Ă ce voyage en Corse en famille ou encore Ă cette traversĂ©e depuis Cherbourg pour gagner les terres irlandaises Ă 12 ans.
Les habituĂ©s restent Ă l’intĂ©rieur, Ă lire, jouer aux cartes, ou bien faire une sieste; tandis qu’on ne peut se rĂ©soudre Ă dĂ©crocher nos mains des rambardes, sentir nos cheveux virevolter avec le vent, le soleil cogner sur nos visages. L’aventure commence… tu oublies ta crainte de ma premiĂšre nuit en voiture Ă venir, j’envoie valser mon cĂŽtĂ© cartĂ©sien et mon apprĂ©hension de vivre ainsi en itinĂ©rance, en partance constante, pour le reste du voyage.
Le soleil irradie le ciel lorsque nous dĂ©barquons vers 16h Ă Friday Harbor et que l’on s’apprĂȘte Ă traverser l’Ăźle et s’y enfoncer jusqu’Ă Snug Harbor pour retrouver Captain Jim et son acolyte Jeanne. Si mon anglais marin et cĂ©tacĂ© ne m’avait pas fait dĂ©faut, j’aurais pu les Ă©couter des heures et des heures, tant ils en connaissent un rayon, tant ils sont passionnĂ©s. Tu te dĂ©lectes de voir ce rĂȘve de gosse se rĂ©aliser, tandis que je m’accroche Ă leurs lĂšvres et leurs histoires (ainsi qu’Ă la rambarde avant du bateau!) pour oublier le mal de mer qui me guette et faire taire l’angoisse qui tambourine dans ma tĂȘte et m’oppresse le coeur. Les vieux dĂ©mons ne sont jamais bien loin. Tu mitrailles Ă n’en plus pouvoir, alors que je sympathise avec les deux autres couples qui nous accompagnent, l’un vient de Denver et l’autre de Memphis. Nous nous serrons pour nous tenir chaud et nous caler au creux des vagues qui secouent fort le petit bateau. L’ambiance y est si belle, on se croirait l’un de ces dimanches en famille, Ă s’abreuvoir de ces histoires d’orques, entre deux twix et m&m’s que Captain Jim nous propose si gentiment, avant de voir surgir sans prĂ©venir Ă seulement quelques mĂštres du bateau une bande d’orques.
Je me focalise sur eux, ne quitte pas l’horizon des yeux, les moindres remous de l’eau et fais voler en Ă©clat l’angoisse qui pouvait m’Ă©treindre jusque lĂ , pour savourer pleinement ce beau moment. J’ai l’impression de revivre ces mĂȘmes sensations, que sur ce zodiac, au large des cotes canadiennes, de Tadoussac, il y a 5 ans, en voyant les baleines. Nous sommes venus ici pour toi, car je te savais ce rĂȘve cher, mais je ne pensais pas pouvoir regretter un instant, si nous ne l’avions pas fait; Ă©tions passer Ă cĂŽtĂ© de cela, n’avions pas fait fi de toutes ces heures de route. La chance est d’autant plus de notre cĂŽtĂ©, que nous ne cesserons pas d’en voir un grand nombre au cours de l’excursion. Un peu plus de 3h Ă ĂȘtre chahutĂ© par les vagues, Ă regarder avec des yeux d’enfant ces orques nous narguer d’un bord Ă l’autre du bateau, filer Ă toute vitesse au loin et finalement revenir jouer avec une autre bande.
Je tangue encore un brin en regagnant la terre ferme vers 19h30; les yeux Ă©carquillĂ©s par ces jolis souvenirs et le sourire jusque lĂ . On se confond en remerciement auprĂšs de Jeanne et du Captain Jim, tant cette excursion fut parfaite.  Le ciel s’est entiĂšrement dĂ©gagĂ© et le coucher de soleil s’annonce prometteur. On ne veut pas en perdre une miette et on reprend la route pour gagner un autre bout de l’Ăźle et arriver au San Juan County Park.
Le coup de coeur est immĂ©diat. Cette lumiĂšre de fin de journĂ©e qui traverse le pare-brise de pleine face et irradie l’habitacle en une fraction de seconde. Qu’importe les quelques malheureux 32$ que cela nous coute, qu’importe que cela soit la nuit la plus chĂšre du voyage, nous ne pouvons nous rĂ©soudre Ă prendre une place en arriĂšre, lorsque la vue es telle… â„ Le soleil n’a pas encore disparu que nous imaginons dĂ©jĂ en nous garant Ă notre dit emplacement, la belle carte postale que nous aurons le lendemain matin, en ouvrant les yeux depuis notre lit, Ă l’arriĂšre de la voiture…pouvais-je rĂȘver plus beau cadre pour la premiĂšre de nuit en voiture de ma vie ? IndĂ©niablement, non.
L‘endroit est assez calme, la saison n’a pas encore commencĂ©; et nous savourons d’avoir un tant soit peu les lieux pour nous. Cette table face Ă la mer et cette vue incroyable en guise de joli tableau pour notre souper. Cette plage en contre bas de ces quelques marches pour une petite balade, ces gros troncs d’arbres comme banc ou petite balançoire. Ă que oui, nous venons de dĂ©nicher le lieu parfait â„ et la frustration se ressent de n’ĂȘtre que de passage, tant nous pourrions passer une semaine complĂšte ici.
La fatigue nous guette, elle m’a dĂ©jĂ bien enrĂŽlĂ©e dĂšs lors que le soleil ait disparu derriĂšre les remous de l’eau au loin, mais on ne peut tout deux se rĂ©soudre Ă fermer les yeux et perdre une miette de ce spectacle, de ce silence, de cette ambiance. L’air un peu hagard, en se brossant les dents Ă la frontale et ressassant toutes les images de la journĂ©e. Nous n’en Ă©tions qu’Ă notre troisiĂšme jours, et pourtant…le voyage prenait dĂ©jĂ une tournure insoupçonnĂ©. Tout comme cette premiĂšre nuit en voiture. MalgrĂ© toi, tu as voulu marquĂ© le coup, faire de ma premiĂšre nuit en van, un souvenir mĂ©morable. Bingo ! Je ris de te revoir me dire, en voyant ces jeunes campeurs non loin de la voiture, gesticuler dans tous les sens aprĂšs avoir aperçu prĂšs de leur tente deux (Ă©normes!) ratons laveurs; “Si j’ai bien retenu une chose d’Australie, c’est qu’il ne faut jamais laisser de la nourriture Ă l’extĂ©rieure, prĂšs de son campement, sous peine de voir dĂ©barquer ces gros chats des bois!” Tu ne pensais pas si bien dire. Je revois mes yeux s’Ă©carquillĂ© en entendant des crissements d’ongles venir du toit de la voiture, me lever pour tenter d’apercevoir quelque chose par le pare-brise et faire un bond en dĂ©couvrant l’Ă©norme popotin du dit raton-laveur glisser le long de la vitre jusqu’au capot !! Je savais bien que ce n’Ă©tais pas une bonne idĂ©e que tu poses mon pot de yaourt sur le toit “en attendant d’aller le jeter tout Ă l’heure”…! Ă oui je ris, et finalement, ce jour lĂ , tu as inaugurĂ© malgrĂ© toi la petite case anecdote de mon carnet de bord, qui se trouvera rempli chaque jour de ce voyage sans exception !
Le rĂ©veil et le petit dĂ©jeuner sont Ă la hauteur de nos attentes et espĂ©rances; Ă l’image de cette premiĂšre nuit…parfaite. Ta pointe de stress s’Ă©vanouie en voyant mon sourire et cette petite victoire que de m’entendre t’avouer que je suis plus que jamais prĂȘte pour les prochaines nuits, ravie d’avoir osĂ© franchir le pas, t’avoir suivi les yeux fermĂ©s dans ce mode de voyage qui est tien. Je dĂ©couvre et savoure doucement cette libertĂ© nouvelle, ce sentiment si particulier et nouveau pour moi, que de pouvoir dĂ©cider de son lendemain avec une facilitĂ© dĂ©concertante. De rĂ©sumer sa vie le temps de quelques semaines Ă un van, Ă l’intĂ©rieur de celui-ci. De pouvoir trimbaler sa vie ou que bon nous semble, s’arrĂȘter quand l’envie nous Ă©treint; et pouvoir choisir de se rĂ©veiller ainsi, de cette maniĂšre lĂ , avec cette vue, ces paysages grandioses. Je croque Ă pleine dents ma petite boite de cĂ©rĂ©ales tout en observant ces aigles que l’on aperçoit dans ces hauts arbres non loin, en scrutant l’horizon et croisant les doigts pour soudainement, voir sortir un aileron â„
En quelques tours de bras Ă peine, la “maison” est rangĂ©e. Le lit repliĂ© sur lui mĂȘme, on bascule nos sacs des siĂšges avant Ă l’arriĂšre, et on met Ă nouveau les voiles. On part aussi discrĂštement que nous sommes arrivĂ©s; laissant seulement les traces des pneus de voiture sur l’herbe. Le cĆur serrĂ© on ferme les yeux sur ce petit coin de paradis, je tourne la page de mon carnet de bord et on fait route en sens inverse. On retrouve avec joie le ferry et ce moment suspendu hors du temps. Retrouvons l’animation d’Anacortes, sa jolie caserne de pompiers et filons droit devant nous vers Seattle, puis Tacoma; s’arrĂȘtant non loin aprĂšs faire quelques courses pour se ravitailler et tenir les prochains jours loin de la civilisation, passer quelques coups de tĂ©lĂ©phone pour trouver ou dormir le soir mĂȘme. LibertĂ© vous dis-je !
La nuit tombe peu Ă peu au rythme ou sâenchaĂźne les miles au compteur. Il est environ minuit lorsque nous passons la barriĂšre du Lake Cushman Resort, descendons jusqu’au bord de l’eau et dĂ©couvrons Ă la lueur de cette petite lampe surmontant la porte d’entrĂ©e du chalet principal, un petit mot Ă notre attention “For the man who called from Seattle with charming accent : choose any site and register in AM”, accompagnĂ© d’un plan cochĂ© de quelques croix rouges au niveau des emplacements que nous pouvions prendre. Le sourire jusque lĂ par cette jolie attention, on jette notre dĂ©volue sur une des place en bordure du lac, avec l’impatience en se couchant, de dĂ©couvrir au lever du jour le spectacle auquel on fait face et dont on ignore tout dans cette nuit noire…
( Canon AE-1 & Canon FTb QL â Potra 160/velvia 50/Ilford HP4+ 125 )
15 Comments
Katia
20 octobre 2014 at 10 h 18 minCe que j’adore ici,c’est ce sentiment de vivre pleinement ce voyage Ă tes cĂŽtĂ©s (comme tous les autres d’ailleurs!). Sur les blogs en gĂ©nĂ©ral (tout du moins sur ceux sur lesquels je tombe), on reste sur notre faim: une petite sĂ©lection de photos, quelques gĂ©nĂ©ralitĂ©s et bonnes adresses et c’est tout.C’est assez frustrant!Avec toi, c’est magique!On en prend plein la vue avec les photos, et on suit le dĂ©roulĂ© des jours, comme si on y Ă©tait.Tes anecdotes rendent les rĂ©cits si vivants, si humains.On rit, on s’Ă©meut avec toi.On partage tes doutes, tes peurs, ton Ă©merveillement, bref c’est plus qu’un plaisir!On est lĂ du matin au soir Ă te suivre, Ă suivre chacun de tes pas, chaque dĂ©tail, chaque ressenti, et je crois que c’est ce que j’aime par dessus tout.Et puis il faut dire que tout le monde n’a pas ta plume ;)
Lydia
18 septembre 2014 at 12 h 52 minC’est vraiment superbe, j’ai adorĂ© lire ton article qui me donne envie de faire la mĂȘme chose mĂȘme si je crains un peu les profondeurs, j’ai envie d’aller voir ces magnifiques animaux marins :)
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 03 minC’est une sacrĂ©e expĂ©rience; on se sent dĂ©jĂ si petit dans cette immensitĂ© marine, mais encore bien plus vulnĂ©rable en sachant qu’on est sur leur territoire. MĂȘme si j’avais des apprĂ©hensions et qu’il a fallu qu’il y mette du sien pour me convaincre, aprĂšs coup, je ne regrette vraiment pas d’avoir pris sur moi et surmonter mes dĂ©mons pour vivre cela :) Si l’occasion se prĂ©sente Lydia je te le souhaite, aussi bien avec des orques que des baleines !
Lydia
19 septembre 2014 at 10 h 05 minMerci :) J’espĂšre que j’aurai autant de courage que toi :)
Vagabondanse
22 septembre 2014 at 5 h 07 minJe te le souhaite Lydia :) !
Mali
17 septembre 2014 at 2 h 12 minHiiii c’est quand mĂȘme mieux de photographier les orques dans leur milieu naturel <3
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 05 minOh mais ouiiii, TELLEMENT ! Cela n’a vraiment rien Ă voir et bien plus respectueux :)
Jeremy
16 septembre 2014 at 18 h 41 minRaaaah c’Ă©tait ma-gique ! Quelle belle façon d’entamer ce roadtrip et surtout quelle fiertĂ© que de voir Ă quel point tu as aimĂ© cette premiĂšre nuit dans le van, cette façon de voyager, et cette Ă©tape dont tu n’attendais pas grand chose comparĂ© Ă moi :) <3
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 06 minIl est vrai qu’on a commencĂ© fort ce voyage !! je crois que je me souviendrais pour longtemps de cette premiĂšre nuit, haha ! Quand est-ce qu’on remet ça ?! :D
Faby
16 septembre 2014 at 16 h 23 minJ’ai un sourire grand comme ça en finissant cet article, je l’ai eu tout le long je crois. Parce que j’ai trĂšs trĂšs envie de prendre mon sac Ă dos et de partir Ă l’aventure, mais aussi parce qu’il y a tes si jolis beaux, ces jolis moments qu’on imagine, ces anecdotes rigolotes, ces orques qui vous saluent et ce rĂȘve touchĂ© du bout des doigts, ce rĂȘve ci Ă l’instant T mais ce rĂȘve de road trip que vous avez formulĂ© Ă deux, en vous faisant confiance mĂȘme si c’Ă©tait pas forcement gagnĂ©, vous y ĂȘtes allĂ©s quand mĂȘme, et c’est beau (et les photos, indĂ©niablement)
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 12 minJ’ignore pourquoi ton commentaire Ă©tait passĂ© en spam, mais infiniment MERCI pour ces jolis mots Faby â„ !! Tu as si joliment cernĂ© la chose. Parfois j’ai l’impression que mes mots ne sont pas clairs, ne traduisent pas ce que j’aimerais; pourtant lĂ tu as rĂ©ussi Ă les lire tels qu’ils sont. :)
Big Calm
15 septembre 2014 at 12 h 16 minJ’aime beaucoup l’anecdote sur le raton-laveur … Ă mourir de rire :D !
ça m’a fait penser, dans un autre style, Ă une anecdote d’un WE passĂ© sur la Höga Kusten en SuĂšde il y a 2 ans. Dans la stuga (cabane suĂ©doise) dans laquelle je dormais, un couple de mĂ©sanges avec leurs oisillons avait Ă©lu domicile dans le cendrier (vide, bien sĂ»r) vissĂ© au mur extĂ©rieur de la façade. C’Ă©tait adorable ! Bref, ton histoire avec le raton-laveur, de fil en aiguille, m’a rappelĂ© ce souvenir …
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 15 minJoli souvenir que tu as lĂ aussi :) Aujourd’hui on en rigole, mais Ă vrai dire sur le coup, j’ai eu un moment de flippe en le voyant dans la pĂ©nombre ! J’ai tellement en tĂȘte l’image de son Ă©norme popotin glisser l’air de rien sur le pare-brise ! haha les alĂ©as et aventure de dormir en voiture (ou autre) dans la nature ^^. Ca fait de belles anecdotes il est vrai :)
Severine - Native du Monde
15 septembre 2014 at 9 h 00 minLes photos Ă la lumiĂšre “nocturne” sont trĂšs belles. Une jolie parenthĂšse en tout cas! :)
Vagabondanse
18 septembre 2014 at 22 h 19 minMerci beaucoup Séverine :) Le lieu était encore plus magique au coucher du soleil *_*