S’imprégner de la Havane Populaire avant de se plonger dans la Havane touristique. Rencontrer Cuba, c’est accepter d’aller au-delà de la carte postale idéale. C’est accepter d’ôter les oeillères et de l’appréhender à l’image d’un iceberg, à travers tant la partie émergée qu’immergée. Rencontrer Cuba, c’est ne pas s’arrêter à son visage lisse et angélique, mais aller au-delà, jusqu’à ses cicatrices, qu’elles soient à fleur de peau ou profonde.
La Havane populaire !
Centro Habana !
La Havane est à l’image de l’île cubaine tout entière, à double visage, pile et face, Havane populaire et Havane touristique. Nous avons fait le choix de rencontrer Cuba par cette Havane là, populaire, pour en briser dès les prémices de la rencontre cette image idyllique que nous pouvions en avoir avant de mettre les pieds sur l’île. L’immersion fut des plus totale en logeant à la Casa Villa Magui, au coeur du « Centro Habana« , et en rencontrant toute cette petite famille vivant là, grand-père, fille, beau-fils, petit-fils, oncle et j’en passe. Dès le premier soir, on est plongé dans l’ambiance, moyennant 8 pesos/pers (après petite négociation!) autour d’un repas typique comme on en retrouvera par la suite, à base de « moros y cristianos »/ »maures et chrétiens » (riz blanc et haricots noirs), pommes de terre, accompagné de bananes frites, de salades diverses, de poulet mariné, sans oublier l’éternelle verre de jugo de piña. Car Cuba c’est aussi ça, les découvertes gustatives qui en disent long, comme ce plat « moros y cristinaos » en écho à cette mixité sociale et religieuse. Ce plaisir de (re)découvrir la saveur d’un vrai ananas (après ceux de la Réunion), devenu notre véritable péché mignon pour tout le reste du séjour !
On écarquille les yeux, on questionne à demi-mot et le grand-père (plus de 90 ans!), nous raconte un pan de sa vie à la lumière de cette photographie qui trône dans l’entrée, et où on le voit aux côtés de Fidel Castro. Instant privilégié, souligné par la lettre juste en dessous du portrait, et qui atteste de la reconnaissance personnelle de Castro envers le travail qu’il a accompli en tant que médecin et gynécologue pour son pays, notamment à l’étranger, en Amérique latine. On devine la fierté à nous conter cette histoire, tout comme on devine les lèvres pincés de son gendre qui se confiera à nous à l’écart de son beau père qu’il respecte bien trop pour tenir ce discours devant lui. Il se livre à nous, nous donne sa vision de son pays, de la politique qui y est menée, de ce que nous, nommons dictature. Il ne la nomme pas ainsi mais préfère nous la mimer, lorsqu’il nous dit que pour lui, d’un côté il reconnait les bonnes actions de Castro vis à vis de la Santé et de l’Éducation, mais que de l’autre, pendant plus de 50 ans on a cette main sur son épaule qui nous maintien/contient mais surtout nous rabaisse d’une certaine poigne (et il mime ce geste en appuyant sur l’épaule de M. pour nous le faire saisir). On est surpris de voir ce double discours pour un homme de cette génération (environ 40 ans) et non uniquement chez les jeunes, cette lucidité qu’il a pour reconnaître et prendre conscience malgré tout de cette dictature que le peuple cubain subit.
L’immersion dans cette Havane locale, cette Havane populaire, au coeur de Centro Habana, c’est faire le choix de se mettre à l’heure cubaine, se laisser porter par les rues plus colorées et défraichies les unes que les autres. Je reste stoïque dès les premiers instants de découvrir une ville, comme au lendemain d’un bombardement. Ô que non, je ne m’attendais pas à cette vision de l’architecture tel un château de cartes qui semble sur le point de s’effondrer à tout moment, de certains pans plus que branlants, de ce façadisme parfois, de ce chemin de terre en guise de route, de cette pollution automobile ambiante, de tous ces câbles qui courent à n’en plus finir, toute cette installation électrique à la sécurité plus qu’oubliée !
Ô oui, je me souviens de ce premier soir à peine arrivée, de cette explosion, ce bruit strident et assourdissant, comme un coup de feu qui retentit dans la rue et nous fait sursauter et nous ruer dehors. Ô oui, je me souviens de ce bruit et de cette frayeur, et je revois son léger haussement d’épaule à lui et nous dire d’une voix des plus banale et calme :
– Oh, ce n’est rien, c’est juste un transfo qui a sauter.
– What ?!!!
Et…ca arrive souvent ?
– De temps en temps oui.
– Ah…
En effet, quelques jours plus tard, ayant oublié quelque peu cet épisode si peu commun chez nous; au coeur du Habana Vieja cette fois-ci, dans notre deuxième logement, un peu plus loin de cette Havane populaire, on s’endormira et sera réveillé en pleine nuit avec J. sous le bruit assourdissant de 7 transfos qui ont quasi sauté coup sur coup, me faisant avoir l’impression que la 3ème guerre mondiale venait d’être déclenchée. Je vous l’assure, c’est une expérience très singulière à vivre. On aurait cru à un bombardement par l’enchainement de 3 transfos qui sautent à tout juste 30 sec d’intervalle (dans ce labyrinthe de câbles, lorsqu’un transfo saute, un deuxième prend le relais, sauf que nombreux sont ceux à ne pouvoir supporter la charge pour 2, et le second saute à son tour et ainsi de suite.), et si je ne puis garder en tête une image fixe de ce phénomène, puisque ne l’ayant pas vu directement; j’en garde de manière indélébile le souvenir de ce bruit si fort à vous en faire sursauter la poitrine et porter vos mains à vos oreilles.
Fort heureusement, cet éclectique visage de cette Havane ne tient pas seulement à cette peur au ventre d’un transfo qui saute ! Cette douce Havane populaire c’est aussi toutes ces senteurs et ces saveurs, ces marchés que l’on croise aux coins de ces petites rues. On se laisse aller et tenter par goûter quelques bananes par là, des oranges fraîchement pelées sous nos yeux, des petites boules de pains pour 15 cts, ou encore ces petits gâteaux sucrés dont on a jamais su le nom, mais qui malgré leur côté « étouffe chrétien », étaient délicieux ! 1 pesos les 6, on aurait eu tord de ne pas se laisser tenter, d’autant plus lorsqu’on a vu la queue devant la devanture de la maison qui les vendaient, comme par la fenêtre !
On se mêle aux cubains, on les regardent le sourire en coin s’apprêter dans ce quotidien, leurs rituels, leur courses à droite à gauche, au son des klaxons et des mécaniques grinçantes de ces vieilles voitures tout droit sorties d’un film. Je pensais que ce n’était qu’un cliché de carte postale, et j’écarquille les yeux en réalisant que cela n’en est pas un, qu’elles sont bien plus monnaie courante qu’on ne le pense. De toutes les couleurs, de toutes les formes qui soient ! Cette Havane populaire a un charme fou et je succombe peu à peu.
Rayonner au coeur de Centro Habana, dans cette Havane populaire, au gré des rues avoisinantes à notre Casa, c’est se familiariser avec toutes ces affiches, ces slogans à droite à gauche, que l’on pourrait nommer de « propagande ». Cela est tout autant surprenant et déroutant, que ne l’est le bond dans le temps que l’on fait, finalement, en mettant les pieds à Cuba. Je ressens la même chose que lorsque je suis allée pour la première fois en Pologne. De plus ici, ce sentiment de ville au lendemain d’un bombardement est quelque peu renforcé lorsque l’on pousse la porte de quelques commerces, quelques « supermarchés » (mais enlevez-vous l’image occidentale que vous en avez car on en est bien loin!), et que les rayons paraissent désespérément éparses, ou tout semble comme rationné. C’est vraiment étrange. Au détour d’un coin de rue, on se croirait en Afrique à la vue de ce « boucher » qui expose et vend sa viande à l’air libre, à même sa carriole de bois.
De jour comme de nuit, dès les premiers instants à Cuba, dans cette Havane populaire « Centro Habana », on comprend bien vite ce trait de la culture cubaine si étrangère à la nôtre, à savoir le fait de vivre dehors. Les cubains vivent dehors, les portes et fenêtres grandes ouvertes, ils partagent avec tout un chacun, avec en fond sonore, les conversations, ces rires aux éclats, cette intonation si singulière et parfois chantante, ou bien cette musique ou encore le son de la télévision. Quelle surprise ça aussi, de les voir et de les savoir si accros à la télévision. Je me revois à nouveau écarquiller les yeux plusieurs fois en tournant la tête en passant devant des maisons et d’observer une télé écran plat flambant neuve dans un salon/une habitation on ne peut plus défraichie et qui semble s’effondrer d’un instant à l’autre. Choc des cultures et des priorités !
Callejón de Hamel !
De ruelles en rues, de petites halls de marchés en terrains mi-goudron mi-sable où les enfants jouent au football, on en vient à tomber sur des espaces artistiques aussi hors du temps que ne le sont les gens qui les habitent ou les traversent, comme la Callejón de Hamel. On se laisse entrainer par un jeune au t-shirt du psg, qui nous conte rapidement l’histoire du lieu et des artistes qui y travaillent/vivent, de cette culture afro-cubaine qui y prend place. Je reste littéralement béate face à cette idée de génie que d’avoir scié des baignoires en deux et de les avoir reconverti en bancs, formant ici comme un serpent ! Le soir venu, une ambiance plus que festive investit les lieux, tant pour manger que pour danser.
Rencontrer Cuba, c’est accepter d’aller au delà de la carte postale idéale. Bien des visages peuvent être attribués à La Havane. Nous avons fait le choix sans le savoir, d’appréhender cette rencontre avec Cuba au coeur de cette ville, dès les premiers instants à travers l’un d’eux, La Havane, la populaire ! Je me suis prise au jeu et à coeur de m’imprégner de ces premières tranches de vie que l’on nous livrait, de tenter de photographier cette âme, ce coeur palpipant qui se devinait à chaque coin de rue, derrière chaque façade érodée par le temps. Et le coup de coeur pour cette culture au carrefour du Golf du Mexique, de l’océan atlantique et de la mer des caraïbes, a doucement pointé le bout de son nez…
8 Comments
Thibault
22 juin 2015 at 23 h 45 minUn très bel article sur La Habana !
Je suis en train de terminer 10 mois d’échange Erasmus en Espagne, ce serait dommage de ne pas profiter de la maîtrise de la langue pour visiter cette Amérique Latine qui me fait tant rêver :)
Vagabondanse
23 juin 2015 at 13 h 09 minMerci beaucoup :)
Alors là, avec un tel parcours tu n’as aucune excuse !! Pour une destination comme Cuba, c’est un vrai (gros!) plus que de parler espagnol, alors profites en au terme de ta maîtrise et mets à profit cela pour aller découvrir cette belle île :)
Zoé
22 juin 2015 at 10 h 53 minJ’ai vraiment l’impression d’y être avec le récit très complet ( et d’imaginer ma réaction avec les tranfos qui sautent) et ces belles photos ! En fait, j’ai la même vision du voyage : il faut se rendre compte de l’endroit dans lequel on est et d’aller à la rencontre des locaux. La découverte a ses bons et mauvais côtés mais quoiqu’il en soit, c’est cela qui donne du sens au voyage !
Vagabondanse
23 juin 2015 at 13 h 17 minMerci beaucoup Zoé ! :) (non mais quelle histoire & frayeur ces transfos ! C’est vraiment fou, je n’avais encore jamais vécu cela en voyage )
Je rejoints tellement ta vision du voyage ❤ aucun voyage n’est parfait, il y a du bon et du moins bon, de belles surprises comme des aléas qu’on aurait préféré évité, mais c’est ainsi, et c’est ce qui fait le charme de tout voyage :)
Il est vrai qu’on peut parfois se contenter de connaître la carte postale d’un pays, mais c’est tout de même si beau d’aller à la rencontre des locaux , de partager avec eux et d’apprendre rellement à connaître leurs terres, leur culture, etc.
Happy Us Book (Carole)
19 juin 2015 at 10 h 00 minBravo pour ce très bel article, Cuba est une destination qui me fait rêver….et tes photos sont vraiment superbes!
Vagabondanse
23 juin 2015 at 13 h 21 minMerci Carole, c’est adorable :) Je ne peux que t’encourager à aller découvrir Cuba. Il y a tant à y voir *_*
mercre
19 juin 2015 at 9 h 18 minTrès jolies photos, encore, et description intéressante.
Je ne suis jamais allée à Cuba, ca a l’air très chouette, et le passage « Au fil des rencontres, des questions, on remarquera comme une gêne, comme un tabou devant la réticence de certains à se livrer, ou bien de le faire à demi-mot, succinctement. Comme s’il ne fallait pas, comme s’ils ne devaient pas, ne pouvaient pas. » me fait tilter un peu plus.
Je voudrais bien connaitre et comprendre comment les choses évoluent, avec l’âge avancé de Castro, avec l’embargo qui se lève doucement, est-ce que ca change la politique intérieure ou non ? Comment se fait la répression ? Car il ne faut pas oublier que Cuba est une dictature.
Et alors, effectivement, le monsieur vous parle en aparté non-seulement par respect pour son beau-père, mais surement aussi parce qu’il doit bien savoir, lui, que les murs ont des oreilles et qu’on peut se faire dénoncer par ses amis, sa famille, ses voisins. Alors bien sur, quand ils sont en groupe, ils sont tous contents de l’histoire et de l’état actuel des choses.
Enfin voilà, c’est beaucoup plus loin et c’est fini, mais j’avais lu cet article sur les dénonciations à la Stasi en Allemagne de l’Est : http://www.slate.fr/story/97403/allemagne-dossiers-stasi
Vagabondanse
23 juin 2015 at 13 h 30 minMerci beaucoup pour ce joli commentaire :)
Il est vrai que nous sommes allés quelque peu à un moment charnière à Cuba, où la question de l’embargo était sur toutes les lèvres. Difficile de vraiment savoir le fond de vérité dans tout cela car comme tu le souligne très bien, les murs ont des oreilles ! Fidel castro est d’un âge avancé certes, mais dans le fond, il y a une telle relève d’assurer avec ses fils…alors même si d’apparence Cuba ne semble plus être une dictature aussi stricte qu’elle ne l’a été, elle n’en demeure pas moins une tout de même. On a tout de même senti chez la plus jeune génération, une prise de conscience, même si elle se dit timidement à l’abris des regards, cela signifie déjà beaucoup ! Peut être que la levée de l’embargo fera changer les chose, peut être. À suivre de près dans les années à venir :)