Abisko, nous t’imaginions depuis Paris cinq mois auparavant, nous te rĂȘvions au cours des quatorze derniers jours, tout au long de ce road trip Ă traverser le pays tout entier. Abisko, cette (notre) terre promise. â„
Abisko Ă©tait notre objectif Ă atteindre, dans notre folle idĂ©e de remonter la SuĂšde du sud au nord en reliant Copenhague Ă Abisko en deux semaines. Un pari fou, un rĂȘve lapon, une envie de soleil de minuit. En ce 15Ăšme jour, en sortant de ce bus en provenance de Kiruna, nous sommes Ă la fois excitĂ©es Ă l’idĂ©e de dĂ©couvrir cette nature tant recherchĂ©e et attendue, et la tristes de voir le voyage toucher Ă sa fin. Quand bien mĂȘme il nous restait encore 6 jours de voyage en SuĂšde dont une derniĂšre Ă©tape de trois jours Ă Stockholm, le coeur Ă©tait lourd de tirer un premier bilan de cette ascension suĂ©doise en foulant la terre battue et les sentiers caillouteux d’Abisko.
Si Abisko devait comporter un regret, ce serait indĂ©niablement celui de ne l’avoir enlacĂ© qu’en coup de vent. La veille au soir, C. avait rĂ©ussi Ă nous dĂ©goter in extremis une place Ă la seule auberge/refuge, Abisko Turisttstation. En dortoir et sĂ©parĂ©es, mais la moins cher de toute. La jolie surprise en arrivant, outre les belles rencontres dans la cuisine commune, fut de constater finalement que nous ne serions pas sĂ©parĂ©es et que nous aurions le droit pour notre petite nuit par ici, Ă une chambre privative pour trois. Le luxe ! La station est aussi chaleureuse que confortable et propre; des douches communes en passant par les chambres ou encore la cuisine, on Ă l’impression d’ĂȘtre Ă la maison !
Abisko ne devait ĂȘtre qu’une halte d’un retour Ă la nature, en pensant qu’une nuit, Ă peine 24h suffiraient pour s’en imprĂ©gner. Notre erreur fut indĂ©niablement d’avoir eu la naĂŻvetĂ© de croire que ce lieu sorti de nulle part pourrait nous laisser de marbre. A peine les sacs posĂ©s dans la chambre, notre repas rĂ©chauffĂ© et englouti dans la cuisine en consultant la carte et regardant l’itinĂ©raire de l’aprĂšs-midi, que nous sortons hors de l’auberge Ă l’assaut de l’immensitĂ© qui nous tend les bras.
Je les avais prĂ©venu, il m’Ă©tait inconcevable de mettre les pieds en Laponie, sans pousser jusqu’Ă Abisko, sans aller mettre un pied devant l’autre le long de ce trajet en lattes de bois que constitue la non moins fameuse et mythique Kungsleden. On raconte, qu’il est possible de la traverser dans son entiĂšretĂ©, soit environ 425km, allant de refuge en refuge, en prĂšs de 4 mois, ou plus, si on dĂ©sire prendre son temps et profiter de ces paysages incroyables.
On se faufile entre les arbres, on suit le sentier de cailloux, jusqu’Ă arriver petit Ă petit aux lattes de bois. La mĂ©tĂ©o oscille au rythme de nos pas et de notre coeur qui s’emballe. Je voulais en prendre plein les yeux, revivre Ă nouveau ces sensations perçues quelques annĂ©es auparavant lors de mon voyage en NorvĂšge. Ă oui, je voulais ĂȘtre chamboulĂ©e, ballottĂ©e, giflĂ©e. Nos yeux, nos pieds, nos coeurs et nos corps tout entier le furent, au grĂ© des alĂ©as de la mĂ©tĂ©o. Nous nous sommes engouffrĂ©es dans cette immensitĂ© sous un soleil Ă©blouissant, avant que l’orage ne gronde, qu’il s’accroche au sommets et nous enrĂŽle.
La pluie s’est mise Ă ruisseler, mes pieds se sont peu Ă peu trempĂ©s, mais nous avons persistĂ© Ă plonger au coeur de cette vĂ©gĂ©tation aux couleurs automnales, jusqu’Ă atteindre quelques petits sommets, jusqu’Ă aller chercher du bout des doigts la lumiĂšre, jusqu’Ă se recueillir ici et lĂ , face Ă ce paysage digne d’une carte postale, d’une peinture. Ce paysage si particulier, cette vue, si dĂ©gagĂ©e que votre rĂ©tine ne peut en contenir l’entiĂšretĂ©. Le silence, nos respirations s’entremĂȘlant aux petites bourrasques de vent. L’heure file, tourne, s’envole alors qu’on voudrait l’Ă©tirer et ne jamais plus repartir d’ici.
Nous nous avançons, nous enfonçons jusqu’Ă ce que la montre nous somme de revenir sur nos pas. Le coeur n’y est pas, on aurait prĂ©fĂ©rĂ© avoir nos sacs sur le dos Ă cet instant prĂ©cis et poursuivre sur ces lattes de bois jusqu’Ă ne plus en voir le bout, jusqu’Ă repousser les limites du perceptible; mais on sait que ce n’est que partie remise. On revient au refuge pour mieux le quitter Ă nouveau. Abisko Ă©tait l’occasion ou jamais de pouvoir Ă nouveau s’abreuvoir d’un soleil de minuit. AprĂšs une petit sieste et un repas, on finit par reprendre le chemin sur les coups de 21h.
L‘ascension nous tend les bras, un dĂ©nivelĂ© comme je ne les aime pas. Qu’importe, je sais qu’au delĂ du sommet, la claque sera cinglante et la douleur des jambes ne sera qu’une utopie. Le paradis se mĂ©rite, ce soir lĂ , j’en ai payĂ© le prix fort ! Les deux premiers tiers du trajet sont intenables Ă la vue du nombre surrĂ©aliste de moustiques qui pullulent. L’anti-moustique ne nous quitte pas, mais finalement l’altitude sera notre sauveuse et aura raison d’eux. Leur disparition subite laisse place Ă l’aventure pure et dure, faute de chemin tracĂ©. Au fil de l’ascension, le sentier tracĂ© s’effrite au point de se confondre avec le ruisseau qui dĂ©vale le sommet. Les conditions mĂ©tĂ©o ont Ă©tĂ© exĂ©crables peu avant notre arrivĂ©e, ils avaient encore eu de la neige.
TrĂšs vite, le terrain est devenu littĂ©ralement impraticable et n’Ă©tant absolument pas Ă©quipĂ©e pour, mes pieds ont peu Ă peu pris l’eau. Plus nous avancions, plus l’eau s’accumulait, moins je sentais ces derniers. J’ai serrĂ© les dents, touchĂ© la neige pour mieux rendre tangible cette ascension improbable, je me suis abreuvĂ©e de ce paysage surrĂ©aliste pour mieux me conditionner et affronter le dernier pan.
2h plus tard, le sommet nous tend les bras, la fiertĂ© au coin des lĂšvres d’avoir gravi Ă pieds pour en arriver jusque lĂ alors que beaucoup se sont contentĂ©s de la remontĂ©e mĂ©canique pour y arriver. L’atmosphĂšre est incroyable, le paysage se dessine au rythme fou des nuages qui strient le ciel et l’horizon. Nous gravissons encore quelques mĂštres, dĂ©passant la petite station, pour passer par-delĂ ces cumulus qui s’agglutinent et crier Ă plein poumons jusqu’Ă nous en dĂ©boĂźter la mĂąchoire. Il y a un vent carabinĂ© qui nous glace sur place, malgrĂ© nos couches superposĂ©es, je ne le sais pas encore mais mes pieds ont changĂ© de couleur. Qu’importe ces dĂ©faillances physiques, nos yeux emmagasinent jusqu’Ă saturation, nos Ăąmes se ressourcent et nos tĂȘtes implosent face Ă ce sentiment de libertĂ© et de Vie suprĂȘme. Ce ressenti que je chĂ©ris tant, cette sensation de se sentir vivant, ballottĂ©, transpercĂ© par ce chamboulement de sentiments indescriptibles.
Nous sommes parties sans rien dans les poches, et au vue de notre Ă©tat frigorifique, nous sommes prĂȘtes Ă promettre monts et merveilles Ă ce jeune homme en charge des re-descentes vers la station, pour nous laisser l’emprunter, tant il nous est inconcevable de redescendre par le mĂȘme chemin Ă pieds. Ses yeux bleus n’y ont rien fait, je lui aurai littĂ©ralement sautĂ© au coup lorsqu’il nous a annoncĂ© que la remontĂ©e Ă©tait gratuite. Il l’ignore, mais il a indĂ©niablement contribuĂ© Ă la sauvegarde de mes pieds, proches Ă ce moment lĂ de l’amputation ! Haha. (J’en ris aujourd’hui, mais croyez moi sur le coup, je serrais les dents.).
L‘occasion durant ce moment suspendu Ă nouveau, de profiter de ce paysage, de le savourer encore un peu, de l’Ă©tirer jusqu’au bout, jusqu’Ă le voir reprendre le dessus sur nous et lui redevenir infĂ©rieur. Le temps oscille toujours autant, nous n’aurons pas vu notre soleil de minuit tel que nous l’imaginions, tel que nous l’avions eu quelques jours plus tĂŽt Ă Â LuleĂ„; mais qu’importe, nous avons finalement eu bien plus que ce que nous pouvions en espĂ©rer, en rĂȘver â„
Il est minuit et demi passĂ©, lorsque j’immortalise ces derniĂšres photographies, comme pour mieux garder en mĂ©moire ce phĂ©nomĂšne; cette luminositĂ© nocturne si particuliĂšre au cercle arctique. Ă que oui, elle m’avait manquĂ©e. Ă que oui Abisko, nous ne sommes pas prĂȘtes de t’oublier, ĂŽ que oui, c’est le coeur empli de tristesse que nous fermons les yeux sur toi ce soir lĂ , que nous te quittons le lendemain, sans se retourner pour ne pas voir poindre le regret de ne pas ĂȘtre restĂ©es.
Ps : Si vous ne deviez en retenir, quâune et une seule photographie; laquelle choisiriez vous et surtout, pourquoi ? Donnez moi son numĂ©ro et racontez moi !
19 Comments
Pascal Schipper
24 octobre 2019 at 11 h 18 minHello,
Quelle belle description, empreinte de poĂ©sie. Je projette de partir avec ma sĆur au mois d’avril dans cette rĂ©gion. Ma question est donc la suivante : Ă quelle pĂ©riode es-tu allĂ© lĂ bas vers Abisko? Merci de ton retour !
Pascal
Vagabondanse
24 octobre 2019 at 14 h 34 minHello Pascal !
Merci beaucoup ! C’est vraiment une superbe rĂ©gion ! Nous y Ă©tions en juin. Avril me semble un peu prĂ©coce, vous risquez d’avoir encore de la neige, mais aprĂšs ca peut ĂȘtre un choix et tout aussi beau ! ;)
michel
1 mai 2014 at 10 h 13 minBonjour,
c’est toujours avec plaisir que je lis votre rĂ©cit sur la SuĂšde, 10mn de voyage offert, merci!!
les photos sont sympas,
je retiens la 33, arbres rabougris, montagne en fond, le ciel et la lumiĂšre, la Laponie quoi!!!
bonne continuation!
Vagabondanse
7 mai 2014 at 14 h 28 minC’est toujours un plaisir que de lire vos commentaires Michel ! Toujours fidĂšle au poste ;) Je crois en effet que la 33 rĂ©sume assez bien ce qu’est la Laponie *_*
LadyMilonguera
27 avril 2014 at 13 h 35 minJe comprends aisément que tu aies souhaité découvrir cette région, je suis totalement conquise par tes photos !
Vagabondanse
30 avril 2014 at 23 h 02 minMerci beaucoup :) Elle vaut vraiment le dĂ©tour, et mĂȘme en Ă©tĂ© ! Il n’y a pas que l’hiver pour dĂ©couvrir la Laponie, bien au contraire :)
ChĂątaigne
27 avril 2014 at 11 h 26 minSuperbement sauvage, j’adore … Vous avez dĂ» vous rĂ©galer !
Vagabondanse
30 avril 2014 at 23 h 02 minĂ que oui ! Et encore, je crois que le terme est n’est pas assez fort :) Ce fut un dĂ©paysement total, et parfois cela fait le plus grand bien :)
Big Calm
26 avril 2014 at 11 h 49 minWow, wow, wow … Bon alors j’ai essayĂ© de choisir une photo, puis comme c’Ă©tait trop difficile, 2, et puis 3, 4, etc. Toutes celles Ă partir de la 37 m’ont donnĂ© un petit pincement au coeur. Pareil quand j’ai revu ces photos de chemins en latte de bois que j’ai eu l’occasion d’emprunter maintes fois en SuĂšde et en NorvĂšge.
Il y aura un post pour le chemin du retour ? (j’espĂšre que oui :D )
Vagabondanse
26 avril 2014 at 18 h 17 minJe le reconnais, je suis un petit cruelle de vous demander Ă chaque fois de n’en retenir qu’une, car moi mĂȘme, j’en serais bien incapable !! En tout cas, je suis ravie que le voyage te plaise toujours autant, et j’espĂšre surtout t’avoir donner envie de songer sĂ©rieusement Ă refaire ton sac et Ă venir t’aventurer de ce cĂŽtĂ© ci de la suĂšde :)
Le voyage touche bel et bien (malheureusement ?) dĂ©jĂ Ă sa fin…mais pas encore vraiment ! Il me reste encore Ă vous parler de Stockholm, alors oui, il y aura encore quelques articles :)
Big Calm
26 avril 2014 at 22 h 16 minSuper nouvelle ! Et oui, ça fait depuis mon retour de SuĂšde (1 an et demi) que je pense Ă y revenir donc c’est un objectif de longue date. Objectif confortĂ© par tout tes articles. Je trouve que, Ă travers tes mots et tes photos, tu es arrivĂ©e Ă bien retranscrire l’atmosphĂšre et l’ambiance que j’ai pu ressentir en SuĂšde :D
Xel0u le l0up
25 avril 2014 at 11 h 24 minJ’aime bien l’une des premiĂšres quand ton amie lis la carte :D
<3
Vagabondanse
26 avril 2014 at 18 h 07 minMerci Alex :) ! L’Ă©tape ultime avant de s’engager sur le sentier, bien que parfois, y aller au feeling n’est pas mal non plus !
Mademoiselle Coquelicot
25 avril 2014 at 10 h 31 minSi je ne devais en choisir qu’une ? Allez ! La 8Ăš en partant de la fin! Mais bon, elles sont bien sĂ»r toutes superbes et me donnent envie de prendre mon sac Ă dos pour une bonne rando ! ^^
Vagabondanse
26 avril 2014 at 18 h 06 minMerci MĂ©lanie ! Parfois l’appel du grand air est plus fort, et une bonne petite rando ne fait jamais de mal :)
thibaudd
25 avril 2014 at 9 h 35 minLes photos sont superbes, une fois de plus !
Vagabondanse
26 avril 2014 at 18 h 04 minMerci beaucoup Thibaud ! Ca change un petit peu du Canada ;)
Mathilde
25 avril 2014 at 9 h 21 minSuperbes photos !
Vagabondanse
26 avril 2014 at 18 h 04 minMerci :)