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Analog

La photographie argentique, cette boîte de pandore !

S‘il devait y avoir une raison tangible, une explication concrète à mon rejet de la photographie numérique depuis maintenant sept mois, ce serait inévitablement celle-ci. La photographie argentique est à mon sens une véritable et intarissable boîte de pandore.

Les pellicules s’amoncellent au rythme des achats et des trouvailles, parfois même des dons. La boîte menace d’exploser sous le poids du contenu, mais finalement, tient bon. La photographie argentique est une boîte de pandore, en ce sens qu’elle renferme un amas d’histoires plus insoupçonnées et inattendues les unes que les autres, et c’est précisément pour cela que je ne jure plus que par celle-ci désormais. Sept mois que mon boîtier numérique dort au fond de mon placard. Sept mois, et à aucun moment je ne songe une seconde à le ressortir. Mon quotidien, immortalisé par mon canon AE-1, mon Welta, ou encore le canon FTb QL de M. ou le Minolta de J., me suffisent et me comblent plus que de raison.

Kiruna, Sweden

J‘ai appris avec  le temps à ne saisir que l’essentiel. L’exercice se révèle très formateur; on en devient bien plus exigent avec soi même, avec son oeil, et on ne peut qu’apprécier davantage le résultat qui s’en suit. Je construis l’exercice autant qu’il me forme et me cadre. S’il m’arrive de sortir l’un des boîtiers pour photographier tel le scène, tel instant, bien souvent la photographie en résultant est pensée/réfléchie un quart de seconde préalablement.

Aujourd’hui, chaque boitier qui m’accompagne se forge une histoire avec la pellicule qui l’emplit. Celle-ci prend vit au sein de celui-ci; il l’écrit tout autant qu’elle lui offre les pages blanches pour le faire. Si jusque là je m’étais frottée à la photographie argentique de manière classique, en testant quelque pellicules pour varier les rendus et trouver celui qui me convenait le mieux, me correspondait; aujourd’hui et depuis sept mois j’ai choisi de plonger à mains nues dans l’exercice de la boîte de pandore. Ma mâle noire est remplie de pellicules périmées, aussi bien couleurs que noirs et blancs, des ISO divers et variés. Chaque nouvelle pellicule est un exercice, une page blanche que je gribouille à l’ancre transparente avant que le développement ne fasse ressortir, ne révèle le contenu. L’exercice est loin d’être aisé; comment après tout, pourrait-on s’imaginer écrire sans voir la moindre trace de ce que l’on rédige ? Est-ce que j’écris droit ? Est-ce que j’ai assez appuyé ? Ou est-ce qu’il est déjà le point de ma phrase ? Et l’alinéa ?

Il faut accepter cette fois-ci de photographier à l’inconnu. Accepter que ce que l’on perçoit dans notre viseur au moment de déclencher, ne ressortira en rien à cela; voire même, en sera diamétralement opposé au moment du rendu final. Certains pourraient se laisser submerger par la crainte, la peur, ne pas se sentir de taille. Pour ma part, je saute à pieds joints et plutôt deux fois qu’une, portée par l’adrénaline de l’inconnu, de la surprise; quelle soit bonne ou mauvaise. C’est le jeu (ma pauv’ lucette!). Si de prime abord j’ai pu être déçue sur certaines séries, une fois à tête reposée, le second visionnage me fait bien souvent tomber amoureuse de la dite série et la voir sous un autre oeil. Elle ne calque en rien à aucun rendu déjà établi, et finalement, c’est exactement ce que je cherche dans cet exercice et qui lui fait tout son sens.

Après près de cinq ans de pratique de photographie argentique, je me rends compte que je joue autant avec celle-ci, qu’elle se joue de moi. Ma curiosité envers cette dernière, l’a entraînée à me faire repousser mes limites pour mieux m’étaler les capacités infinies dont elle regorge. Les pellicules s’accumulent et la boite de pandore se remplie d’histoires plus incroyables les unes que les autres. Chaque nouvelle pellicule est une histoire de plus à lui faire conter. Je ne compte plus les récits de double expositions, voire même de triple expositions; ou encore celle de la pellicule qui a pris la lumière lorsque le capot du boitier s’est ouvert lors d’une chute. Néanmoins, ma plus grande fierté reste indéniablement lorsque la pellicule est une histoire de vie qui traverse les âges, les générations, passe de mains en mains et par un heureux hasard finit par arriver entre les vôtres, les miennes. Souvenez vous, cette pellicule que j’avais découvert dans l’un de mes appareils argentiques chinés pour enrichir ma collection, que je n’avais jamais pris la peine d’ouvrir jusqu’à ce fameux jour ou j’ai découvert, éberluée qu’elle comportait une pellicule exposée…et qu’au développement, j’y ai découvert ces trois photographies prises 40 ans en arrière ♥

Aujourd’hui, à travers cet article, j’ai envie de vous conter à nouveau une bien belle histoire, de celle que je n’aurais pu écrire tant elle est comme celle que je rêve de vivre. Peu de temps avant notre départ en road trip en Suède en juin dernier, lors d’un déjeuner chez J., celle-ci connaissant ma passion pour la photographie argentique, en vient en farfouillant dans son placard à me sortir une petite sacoche noire et me dit « tiens regardes, ca devrait t’intéresser ». A l’intérieur, un boitier argentique Nikon, divers objectifs et équipements, ainsi que deux boites de pellicules. Chacune renferme un petit post-it indiquant le nombre de prises de vues déjà effectuées, deux ou trois à chaque fois. Je saute au plafond en l’entendant songer un instant à vendre le tout et lui intime de passer par moi le jour ou elle y songe sérieusement, car il en est hors de question ! Cette boîte à bien trop de valeur et d’histoire pour s’en séparer ainsi. Restant intriguée par les deux pellicules et curieuse de ces petites indications qui les accompagnent, J. en vient à me dire « Si tu veux, prends les, car je n’en ferais rien ». Elle est on ne peut plus sérieuse et j’en suis on ne peut plus désarmée mais ô combien touchée. Je pèse le poids de cette sacoche, de l’histoire qui l’emplie. Elle appartenait à son ancien compagnon qui était photographe et qui a aujourd’hui disparu. Elle a gardé cela de lui, son outil de travail, sans vraiment savoir pourquoi. J’ignore ce que renferme ces deux pellicules, après je ne sais combien d’années, de dizaine d’années même, restées dans l’ombre; mais nul doute que je ne peux passer à côté de cette occasion de les faire sortir de leur silence et leur donner vie pour de bon.

J‘ignorais une fois de plus à quoi m’attendre. Je n’aurais pu prédire que le temps la ferait passer à ce point, qu’elle lui attribuerait un piqué pareil. Bien sur que le rendu est bien loin de ce que j’aurais pu espérer. Sur le coup, j’ai bien vite oublié ces photographies, la déception était trop grande. Mais aujourd’hui je les redécouvre et les aime telles qu’elles sont et en aucun cas ne les voudrais plus lisses, plus contrastées ou que sais-je encore. Ces quelques doubles expos sont ce quelles sont, ce grain est finalement à l’image du temps que Kiruna nous a réservé, ce ciel orageux et menaçant. La douceur de C. et M., tel que le fut ce moment d’apothéose de notre road trip, à Abisko, entre terre et ciel, tantôt en deçà des nuages, tantôt au dessus, à proximité des arcs-en-ciel. L’expression rêveur de ce petit garçon, voyageant seul, bien timide à nos cotés qui ira jusqu’à se faufiler sous les sièges pour sortir du carré ou nous étions car C., assise à côté de lui, dormait à poing fermé et qu’il n’a pas osé la réveiller.

Il est vrai, cette pellicule, ces photographies sont bien loin d’être parfaites, sont bien loin de plaire esthétiquement. Mais qu’importe, l’essentiel demeure dans l’histoire qui les définit, dans l’histoire que je leur ai fait écrire, et qui à mon sens transparaît en les regardant. Ô que oui, ô combien, la photographie est une véritable boîte de pandore qui n’aura de cesse de vous surprendre si vous acceptez de jouer le jeu et de vous y frotter les yeux fermés. Chaque pellicule est unique, vous l’écrirait en la photographiant, autant qu’elle cherchera à vous surprendre au moment du développement.

2 Comments

  • Tanguy Nicolas
    23 juin 2016 at 13 h 48 min

    Tout ce que tu décris dans cet article c’est exactement le changement qui est en train de se passer de mon coté… Je quitte le numérique pour l’argentique progressivement. Quitté définitivement je ne pense pas mais disons que l’argentique prend plus de place que le numérique.
    L’argentique me rend plus exigeant avec moi même et pour quelqu’un qui n’aime pas passer des heures sur Lightroom, l’argentique est parfait sur ce point. Je peux choisir le rendu à l’achat d’une pellicule et composer ensuite avec les contraintes qu’elle m’impose. Même s’il existe des presets VSCO pour Lightroom, je préfère ce fonctionnement.
    C’est vrai que les images ne sont pas exploitables directement après avoir shooté, mais quel bonheur de se replonger dans les souvenirs quand on visualise le résultat quelques jours après !
    Les débuts ne sont pas faciles et il y aura toujours un peu de frustration avec de nombreux déchets mais c’est formateur. J’ai plus appris sur la photographie avec mon boitier argentique qu’avec mon boitier numérique. Je prend plus de plaisir à ne pas chercher la photo parfaite techniquement mais à vouloir plutôt raconter une histoire avec ses images.
    Aujourd’hui le seul frein à ma pratique de la photo argentique, c’est le coût de développement des pellicules… Reste à savoir si l’achat d’un scanner de négatifs type Rollei Df-s réduirait les coûts… Je n’ai pas encore la réponse à cette question !

    En tout cas je suis content de lire les mots de quelqu’un qui a vécu la même chose que ce que je vis actuellement. J’espère arriver à ton niveau un jour et pouvoir raconter comme toi de belles histoires avec mes images. :)

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    • Vagabondanse
      23 juin 2016 at 16 h 05 min

      La jolie surprise de cette journée ! <3 Merci pour ce commentaire fleuve Tanguy (et ces jolis compliments en fin!) :) Que dire, si ce n'est que je ne peux que ô combien te comprendre. Comprendre la démarche que tu entreprends en ce moment même, et même, t'y pousser plus que de raison. Tant celle-ci est belle, tant tu vas apprendre, te forger.
      Je n'ai jamais été une grande fan en numérique de toute la partie post-prod, des heures dans LR, c'est exactement ce que je détestais le plus. Je le disais encore récemment dans une interview, ce travail que je repoussais tant avant au numérique, j'ai appris à l'adorer à l'argentique, parce qu'il ne se fait plus en aval mais bel et bien en amont. Ce moment ou l'on choisit telle pellicule plutôt qu'une autre car on voudrait tel rendu en fonction de telles conditions de lumière/météo etc. Et puis, ce petit plaisir non dissimulé de faire durer une pellicule dans le temps et de redécouvrir des photos oubliées au moment du développement.
      Certes l'argentique est peut être plus exigent, les débuts ne sont jamais simple, mais c'est ainsi que l'on apprend, que l'on comprend et qu'on le retient. Si tu as l'envie et la passion alors c'est l'essentiel, avec le temps la patience ne sera plus une frustration mais une alliée :)

      Après, il est indéniable qu'à défaut d'avoir un bon labo sous la main, l'investissement dans un bon scanner peut être plus que rentable.

      Si tu veux poursuivre un petit peu ta réflexion dans le choix que tu effectue en ce moment, de ce passage du numérique à l'argentique, alors cet article devrait t'intéresser : http://paris-tu-paris.fr/2016/02/paris/ :)
      Bien que j’y évoque pour le coup mon retour au numérique, j’y glisse également le pourquoi du comment j’en suis venue à me tourner vers l’argentique et surtout, ce que cela m’a apporté !

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